Amour-propre

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L’être humain déteste la vérité. Cette haine de la réalité se propage au sein de groupes, d’organisations et même de nations. J’ai découvert cet extrait du livre Pensées de Blaise Pascal en 1978. Il demeure à ce jour mon texte favori.


(English version)

La nature de l’amour propre et de ce moi humain est de n’aimer que soi, et de ne considérer que soi. Mais que fera-t-il ?

Il ne saurait empêcher que cet objet qu’il aime ne soit plein de défauts et de misère. Il veut être grand, et il se voit petit. Il veut être heureux, et il se voit misérable. Il veut être parfait, et il se voit plein d’imperfections. Il veut être l’objet de l’amour et de l’estime des hommes, et il voit que ses défauts ne méritent que leur aversion et leur mépris.

Cet embarras où il se trouve produit en lui la plus injuste et la plus criminelle passion qu’il soit possible de s’imaginer. Car il conçoit une haine mortelle contre cette vérité qui le reprend, et qui le convainc de ses défauts.

Il désirerait de l’anéantir, et, ne pouvant la détruire en elle-même, il la détruit autant qu’il peut dans sa connaissance et dans celle des autres; c’est-à-dire qu’il met tout son soin à couvrir ses défauts et aux autres et à soi-même, et qu’il ne peut souffrir qu’on les lui fasse voir ni qu’on les voie.

C’est sans doute un mal que d’être plein de défauts, mais c’est encore un plus grand mal que d’en être plein et de ne les vouloir pas reconnaître, puisque c’est y ajouter encore celui d’une illusion volontaire.

Nous ne voulons pas que les autres nous trompent, et nous ne trouvons pas juste qu’ils veuillent être estimés de nous plus qu’ils ne méritent. Il n’est donc pas juste aussi que nous les trompions et que nous voulions qu’ils nous estiment plus que nous ne méritons.

Ainsi, lorsqu’ils ne nous découvrent que des imperfections et des vices que nous avons en effet, il est visible qu’ils ne nous font point de tort, puisque ce ne sont pas eux qui en sont cause; et qu’ils nous font un bien, puisqu’ils nous aident à nous délivrer d’un mal, qui est l’ignorance de ces imperfections.

Nous ne devons pas être fâchés qu’ils les connaissent et qu’ils nous méprisent, étant juste qu’ils nous connaissent pour ce que nous sommes, et qu’ils nous méprisent si nous sommes méprisables.

Extrait du livre “Pensées” de Blaise Pascal


Image: “Adobe Illustrator vs Artificial Intelligence” par Viktor Hertzis sous license CC BY-NC-SA 2.0.